Entre ses majestueux pics enneigés et sa jungle luxuriante, le royaume des Sherpas est l’endroit rêvé pour une halte reposante après deux mois passés à bourlinguer sur les routes indiennes. Extrait, généreusement donné par l’une des auteures (Perrine), de leur guide « Autrement l’Asie ».
Roulées dans la farine par quelques locaux au moment de passer la frontière indo-népalaise depuis Siliguri au Bengale-Occidental, nous regardons avec désespoir le dernier bus s’éloigner et nous résignons à passer la nuit dans la ville étape de Kakarvitta. Bien décidées à ne pas nous éterniser dans ce lugubre ghetto urbain, nous nous levons aux aurores pour prendre le premier bus en partance pour la capitale. Hélas nous ne sommes pas au bout de nos peines et nous nous retrouvons nez-à-nez avec la porte solidement cadenassée de l’hôtel. Après quelques minutes de réflexion sur la stratégie à adopter (passer par le balcon du premier étage ? sortir la cisaille que nous n’avons pas emportée ?), c’est sur nos cordes vocales que nous misons pour appeler à l’aide. Nous réussissons finalement à quitter les lieux et enchaînons, cette fois au sens propre, par une vingtaine d’heures de bus en direction de Katmandou, la capitale. Nous profitons du trajet pour admirer les paysages montagneux, plaines fertiles et nombreux cours d’eau de la région du Teraï.
Le Népal a ouvert ses frontières aux étrangers depuis tout juste un demi-siècle et attire déjà des foules de voyageurs. Il est d’ailleurs coutume de dire que « la première fois que l’on va au Népal c’est pour ses montagnes, mais l’on y retourne ensuite pour la gentillesse et la bienveillance de ses habitants ». Notre séjour dans ce petit pays est ainsi ponctué de souriants « namaste » et de sincères échanges avec la population locale. C’est toutefois une autre histoire dans les rues commerçantes du quartier de Thamel, à Katmandou, où rabatteurs et vendeurs ambulants ne cessent d’alpaguer le chaland, parfois jusqu’à l’agacement. Après une énième tentative d’arnaque sur le prix du fromage de yak, Perrine, dont la patience a des limites, en vient à suggérer gentiment à notre interlocuteur de jouer la carte de l’honnêteté, sans quoi il finira par entacher son karma… Négociation réussie !
A quelques ruelles de là, nous pénétrons dans un véritable musée à ciel ouvert. Les temples de la célèbre place de Durbar Square se découpent au-dessus des toits de la capitale, donnant au quartier une atmosphère mystique des plus envoûtantes. Dans un délicieux mélange d’Histoire et de spiritualité, nous découvrons progressivement les pagodes, pavillons et sanctuaires sacrés qui font de Katmandou, une ville à l’allure médiévale atypique. Nous apprenons également avec étonnement que cet ensemble de temples n’est autre que la résidence de la Kumari Devi, une jeune déesse vivante vénérée par la population.
Rassasiées par de succulents momos, sortes de petits raviolis fourrés à la viande ou aux légumes, nous franchissons les portes de la ville pour découvrir le stupa de Swayambhunath. Cet imposant monument surélevé d’un dôme blanchi à la chaux a été conçu pour abriter les reliques de Bouddha. Bercés par le va-et-vient des drapeaux à prières et par de puissants effluves d’encens, les Népalais viennent ici pour se recueillir et murmurent des mantras (textes sacrés) au rythme des nombreux moulins à prières qui tournent autour du stupa.
Entre deux promenades, nous sommes invitées à la kermesse d’une école locale, partageant avec bonheur cet instant de fête avec les enfants, et essayons tant bien que mal d’avancer sur nos travaux respectifs de mémoires de fin d’études. Si les conditions sont loin d’être optimales, la motivation est néanmoins au rendez-vous ! En effet, la ville disposant en moyenne de quatre heures d’électricité par jour, nous sommes sans cesse interrompues par d’interminables coupures de courant. Or, qui dit coupures de courant dit aussi douche froide et pas de chauffage ! C’est donc bien emmitouflées dans nos sacs de couchage, armées de gants et bonnet que nous faisons péniblement glisser nos doigts sur le clavier de l’ordinateur.
Nous apprenons par la suite que la pénurie électrique est un problème de taille au Népal. De par ses innombrables cascades et cours d’eau, le pays est pourtant doté d’un potentiel hydroélectrique considérable. Hélas, affaibli par une décennie de guerre civile et de rébellion maoïste, ce petit territoire peine à se reconstruire. Longtemps mise à genoux par les puissances voisines, l’économie népalaise dépend aujourd’hui encore en grande partie de l’aide internationale et de l’énergie déployée par les ONG.
Après avoir découvert de fascinantes initiatives sociales et arpenté longuement les rues cabossées de la capitale, nous bouclons nos sacs à dos, enfilons nos chaussures de randonnée et mettons le cap sur les sentiers de la vallée de Katmandou. Les nombreuses rencontres que nous avons faites dans la capitale nous permettent d’élaborer un petit programme sur mesure, dans une région réputée pour ses mosaïques de champs en terrasses. Si la plupart des randonneurs se rendent dans la célèbre chaîne himalayenne, véritable toit du monde, nous préférons pour notre part limiter les transports et admirer de loin les sommets enneigés où la température très basse en cette saison nécessite un équipement professionnel. Accompagnées d’un formidable guide local, Panta, nous progressons ainsi de village en village, dormant tantôt chez l’habitant, tantôt dans un monastère bouddhiste au sommet de la montagne comme à Namobuddha. Cette dernière expérience nous laisse toutefois un petit goût amer… S’il apparaît que des milliers d’étrangers viennent chaque année se ressourcer en étudiant le bouddhisme dans les monastères, nous sommes déçues de constater que pour une nuit, seul notre portefeuille semble intéresser nos hôtes. Nous repartons donc un peu frustrées de ne pas avoir pu échanger quelques mots avec un moine local. La randonnée se poursuit ensuite en direction de Baltali, charmant village newar, où nous sommes accueillies par une famille au grand cœur. Loin des routes touristiques, nous découvrons ici des sourires francs et des poignées de mains chaleureuses, dénuées de tout intérêt matériel. Il est en effet chose courante de se faire alpaguer par un nombre incalculable d’enfants réclamant stylos, chocolats, montres et appareils photos sur les chemins de randonnée. Ces interpellations traduisent bel et bien le comportement de certains voyageurs, qui malheureusement, en pensant bien faire, habituent les jeunes générations à réclamer et leur donnent une image biaisée du touriste occidental.
Guidées par les drapeaux à prières et la douce odeur des orangers qui bordent les sentiers, notre séjour aux pays des Sherpas touche à sa fin… A notre tour, nous sommes désormais convaincues que nous reviendrons à coup sûr, tant pour explorer les pics montagneux du nord du pays que pour retrouver les belles amitiés que nous avons tissées en cours de route.