Souvent louées, parfois controversées, certaines initiatives humanitaires ou solidaires se développent de manière naïve, voire perverses pour le pays d’accueil. Symptomatique est le cas de l’agence Quetzaltrekkers, située à Xela (Guatémala), composée de bénévoles – majoritairement étasuniens – de passage, emmenant les touristes en randonnée sur les volcans de la région. Côté positif : reversement intégral des bénéfices à des œuvres locales ; côté négatif : une concurrence insoutenable pour les guides locaux. Un article de Joffrey Nanquette.
Un slogan : « Hike and Help » (« Grimpez et aidez »)
Née en 1995, Quetzaltrekkers est une association qui a vu le jour à Quetzaltenango (Xela, comme on la nomme plus communément), deuxième ville du Guatémala. Le succès de ce projet mêlant tourisme et humanitaire a conduit à la création d’une structure analogue et homonyme à León, au Nicaragua, en 2004, puis à celle de Condortrekkers à Sucre (Bolivie) en 2008. Nous nous intéressons ici seulement à l’agence située au Guatemala.
Sur le papier, l’initiative est louable : Quetzaltrekkers propose à un public exclusivement anglophone différentes randonnées à des coûts relativement bas, dont les bénéfices sont reversés à deux associations locales partenaires : Escuela de la calle (« école de la rue ») et Hogar abierto (« foyer ouvert »). La première est engagée dans une action de lutte contre le travail infantile de rue et pour l’éducation et l’alphabétisation d’yceux, ainsi qu’à une sensibilisation de parents souvent résistants à la scolarisation. Cette structure est composée de professeurs, travailleurs sociaux et psychologues, soutenus par des volontaires étrangers. D’après le site de Quetzaltrekkers, 175 enfants de 5 à 15 ans, en majorité indigènes, bénéficient de ce programme. La seconde est un lieu d’accueil d’une quinzaine d’enfants et adolescents de 9 à 18 ans que les aléas cruels de l’existence (viol, violence, perte des parents…) ont conduit à se trouver livrés à eux-mêmes.
Le moins que l’on puisse dire est que l’initiative est généreuse : des bénévoles venus, le plus souvent, d’Amérique du Nord, viennent passer un minimum de 3 mois à leurs frais, accompagnant des touristes en excursion dans la région, organisent des fêtes pour lever des fonds au seul bénéfice des associations susmentionnées. Selon le site de l’Escuela de la calle, depuis la création du Hogar abierto qui lui est rattaché, les centaines de bénévoles de Quetzaltrekkers ont permis la viabilité financière des organismes à hauteur de 70 à 80% du budget.
A priori, tout cela est louable et plutôt positif au niveau social, moral et économique ; cependant, regardons d’abord d’un peu plus près le fonctionnement de Quetzaltrekkers.

Les dessous des cartes
Les volontaires de Quetzaltrekkers chargés de l’accompagnement des groupes de touristes en randonnée, sont formés en une semaine par leurs prédécesseurs volontaires – et c’est parti ! Il convient d’abord de rappeler que le Guatémala est un pays « sensible » en matière de sécurité, ensuite que les magnifiques balades qu’on peut y réaliser, sont souvent d’une grande difficulté et que le pays fait face régulièrement à des catastrophes naturelles. Il ne faut, bien sûr, pas dramatiser à l’excès : le tourisme au Guatémala n’est pas un chemin de croix ; mais il est important de préciser que ces jeunes au bon cœur, guides improvisés, n’ont pas (ou peu) d’expérience, ne parlent que très peu l’espagnol et n’ont aucun diplôme pour exercer leur activité de guide, ce qui est l’une des conditions au Guatémala pour exercer en tant que guide. Mais, apparemment, nos amis étasuniens n’ont aucune difficulté avec le fait d’ignorer les lois locales et d’être, le plus souvent, incapables d’aligner trois phrases en espagnol.
Lorsque nous sommes allés nous balader sur le Santa María avec notre ami Edgar, guide local vivant au pied du volcan à Llanos del Pinal, nous avons pu vérifier que deux policiers en contrôlaient l’accès, vérifiant si le guide était habilité à exercer et accompagner un groupe. Dit plus clairement : si les Quetzaltrekkers peuvent embarquer des groupes sans disposer de qualifications reconnues, c’est très possiblement en apportant une contribution à la corruption endémique qui ravage le pays et y empêche l’application du droit. (Pour rappel, Transparency International, ONG engagée dans la lutte contre la corruption, classait en 2012 le Guatémala 113ème sur 176 Etats selon l’indice de perception de celle-ci.)

Hormis ces pratiques… limites, nos cowboys fringants gagneraient surtout à analyser le projet et le mettre en perspective. Si, lors de sa création, Quetzaltrekkers proposait une projet intéressant, alors que s’achevait la guerre civile et que le nombre de touristes y était encore relativement faible (563 000 cette année là), près de deux décennies plus tard, les choses ont bien changé. L’industrie touristique connaît un développement continu et, avec 1 823 000 en 2011, le pays est le deuxième le plus visité de l’Amérique centrale après le Costa Rica, en dépit de sa réputation – justifiée, mais exagérée – de violence (statistiques de la Banque mondiale). 18 ans après sa création, un bilan serait le bienvenu, consistant notamment à interroger l’impact ou le rapport au tourisme local.
Car, évidemment, certains acteurs locaux souffrent de la réussite de Quetzaltrekkers : avant tout les guides locaux, en majorité des personnes dont ce n’est pas la seule activité professionnelle (beaucoup sont paysans, notamment Edgar, que je viens de mentionner plus haut), ayant pourtant une connaissance parfaite des lieux et une expérience bien fournie. La plupart d’eux parle espagnol, l’idiome maya k’iche’, souvent anglais et même parfois français ou encore japonais. Ils ont le Guatémala dans leur chair, connaissent la faune, la flore, certaines légendes locales parfois, et sont à même d’apporter de précieux éclairages sur le pays lui-même de façon plus générale. Ils sont également souvent connus des locaux, pour la simple raison qu’ils sont leurs voisins. Cependant, la fréquence des randonnées qu’ils effectuent est limitée, contrairement aux jeunes Quetzaltrekkers qui, eux, continuent à remplir leurs listes de réservation.
Une concurrence non libre et faussée
Clairement, Quetzaltrekkers est l’agence gagnante dans un jeu de concurrence guère équitable. Pourquoi ? Certes, nous pourrions penser que le tarif pratiqué est imbattable puisque les guides ne sont pas rémunérés. Mais là n’est pas le propos : les tarifs sont à peu près égaux à ceux pratiqués par les agences locales et guides indépendants. Ce succès s’explique par une grande inégalité de compétences techniques en matière de montage de projet et de maîtrise des nouveaux médias de communication. Après avoir rencontré plusieurs guides locaux et de nombreux touristes, le constat est le même : Quetzaltrekkers sait s’organiser et communiquer.
Les Occidentaux savent s’organiser à moyen-terme et communiquer, même avec un faible niveau d’étude, ce qui n’est pas le cas au Guatémala. L’intervioù avec Oscar et Edgar, deux guides locaux, confirme une incapacité à se réunir, à s’organiser et élaborer une réponse collective des guides indépendants à la concurrence, liée autant à des conflits interpersonnels et des questions d’orgueil qu’à une méconnaissance des nouvelles technologies. C’est là que le bât blesse.
Les Quetzaltrekkers se rendent-ils compte qu’ils prennent le travail des locaux, exerçant une concurrence rude, jouissant du magistère de la charité autant que de la visibilité médiatique ? Pourquoi n’intègrent-ils et ne forment-ils pas plutôt des locaux, durablement impliqués sur place, afin qu’ils puissent ensuite être autonomes ? Leur stratégie reste floue, voire inexistante. Impossible toutefois de nier leur sincérité ni la réalité du secours financier à des dizaines d’enfants miséreux. La relation à ceux-ci n’est, certes, pas nécessairement très proche – un repas par semaine suivi d’un match de foot, servant a remplir son appareil numérique de jolies photos d´enfants pauvres : la grande classe – mais la réalité de l’apport est incontestable.
Mais les Quetzaltrekkers ne sont pas les seuls à faire du tort aux guides locaux. En effet, les agences de voyage locales n’ont pas non plus tendance à tirer vers le haut les guides locaux, bien au contraire, faisant régner une concurrence entre les guides, encouragés à brader leur force de travail. Ceux-ci ne touchent en moyenne moins de 10% des sommes versés par les touristes aux agences et sont chargés d’embarquer des groupes souvent trop nombreux : 8, 10 personnes, parfois davanatge. Pablo Ixcot, autre guide local, dûment formé à la randonnée montagnarde, évalue quant à lui les conditions de sécurité optimales, pour une ascension de volcan, à un ratio de 4 ou 5 personnes par guide.
Des guides bien esseulés
Malheureusement, rares sont les alternatives pour les guides, car la majorité des touristes passe par les agences qui emploient ceux-ci, ou par Quetzaltrekkers. Au milieu de cette jungle, ces travailleurs du tourisme local, malgré leurs compétences, semblent bien esseulés.
Le phénomène de l’exploitation ou de la sujétion des travailleurs des pays pauvres est bien connu : nous avons eu l’occasion de parler du cas de Cancun ou de celui du tourisme de masse. Dans un autre registre, la tragique affaire des ouvriers sous-traitants pour Mango morts au Bangladesh, illustre ce phénomène. Mais un frein au développement souvent moins visible, car considéré positivement, vient aussi parfois de la charité et des institutions humanitaires, dont l’activité peut constituer un frein à l’échelle locale.
En l’espèce, Quetzaltrekkers ne mérite totalement l’opprobre, car la collecte de fonds réalisée depuis sa création a permis d’extirper de la rue et de la misère de nombreux enfants, et de former des professeurs. Mais il importe de garder une certaine vigilance à l’égard d’institutions dont les belles intentions affichées ont un revers parfois bien pire.
En dernier ressort, il reste le choix individuel du touriste : ou bien donner son argent à une association caritative nord-américaine dont les fonds engendrent de réels bienfaits, mais qui n’apportent pas de garanties suffisantes de sécurité ni de qualité de service ; ou bien privilégier des guides locaux compétents et bien formés, et soutenir la microéconomie touristique.
Le saviez vous ?
Gringo : parmi les diverses origines étymologiques possibles du mot, l’une fait remonter le terme à une chanson entonnée lors de la guerre mexico-étasunienne.